À qui je dois mon empire

Décembre a une saveur douce-amère pour moi depuis bien des années.

J’ai eu la chance de grandir avec une maman à la maison. Une maman qui avait un petit quelque chose de Mary Poppins. Son éducation était ferme, mais dans notre quotidien, elle insufflait tellement de magie.

Chaque 1er décembre, nous descendions déjeuner et découvrions le salon illuminé : l’arbre de Noël déjà décoré nous attendait. Pour nous, c’était le signal : la magie commençait enfin. Tout le mois de décembre devenait une montée en crescendo vers la grande fête. Ma mère se surpassait chaque année pour remplir nos assiettes de douceurs transformées en traditions. Son sucre à la crème, ses plats réconfortants… tout participait à ce sentiment que Noël était bien plus qu’une date : c’était une atmosphère, une promesse, un enchantement.

Il y a maintenant sept ans que ma mère est partie. Le 21 décembre, nous avons appris qu’il lui restait environ trois mois à vivre. Elle s’est éteinte le 26 février. J’étais enceinte de huit mois de mon petit dernier lors de ce dernier Noël avec elle.

Mon réflexe, lorsque j’ai compris que ce Noël serait son dernier? Je me suis mise aux fourneaux. J’ai cuisiné pour ma famille les plats qu’elle aurait préparés elle-même si elle n’avait pas été aussi malade. Je crois que c’était à la fois pour la rassurer — lui montrer que l’esprit de Noël continuerait à vivre même après son départ — et pour moi, une façon de préserver une dernière fois ce fil de transmission. Peut-être aussi l’occasion de lui poser, entre deux cuissons, mes dernières questions sur son fameux gâteau aux noix.

De ma mère, j’ai gardé cet amour des traditions, ce goût des festivités et de la magie de Noël. Mais je n’ai pas choisi la même vie qu’elle. Elle était femme au foyer ; moi, je suis une femme de carrière. Et pas n’importe quelle carrière : j’ai choisi le droit des affaires, dont la saison la plus intense est… précisément le mois de décembre.

Chaque année, ce mois devient donc un exercice de haute voltige. D’un côté, la professionnelle, qui jongle avec ses dossiers, ses échéances, les bilans et les clôtures de fin d’année. De l’autre, la mère et la gardienne de traditions, qui veut offrir à ses enfants un Noël imprégné de chaleur et de magie. Cette dualité me suit chaque fois que le mois de décembre pointe le bout de son nez.

Et pourtant, cette année est différente.

Décembre 2025 est arrivé avec un cadeau de Noël un peu en avance : la fin de ma dernière session d'université, l’aboutissement de mes études, et la conclusion d’un long parcours. Je peux enfin regarder derrière moi et dire : je l’ai fait! Mon baccalauréat est terminé. Cette étape qui m’a tant demandé en sacrifices, en persévérance, en organisation, est désormais chose du passé.

Et je ne peux m’empêcher de penser à ma maman.

Je suis persuadée qu’elle est bien fière de sa fille, de là-haut, sur son nuage.

Ce que je comprends aujourd’hui, c’est que son héritage ne réside pas seulement dans ses recettes, dans ses décorations ou dans ses traditions. Il est dans la force qu’elle m’a transmise. Dans sa manière de rendre la vie belle, même lorsqu’elle était exigeante. Dans sa façon d’allier fermeté et douceur. Dans ce mélange de discipline et de magie que j’essaie, à ma manière, d’incarner dans ma vie de femme, de mère et de professionnelle.

Oui, décembre restera toujours pour moi teinté de cette dualité : la douceur des souvenirs et l’amertume de la perte, la rigueur de mes obligations et la tendresse des traditions. Mais c’est précisément cette dualité qui m’ancre. C’est elle qui fait de moi ce que je suis : une femme qui ne renonce ni à sa carrière ni à la magie de Noël, ni à son ambition ni à ses racines.

Alors, en ce mois de décembre, je veux dire merci. Merci à ma maman pour l’héritage invisible qu’elle m’a laissé. Merci à ma famille, qui continue de croire en ma capacité de tout concilier. Merci à moi-même, d’avoir eu la persévérance de traverser les épreuves et de m’offrir aujourd’hui ce sentiment d’accomplissement.

Parce qu’au fond, c’est ça, l’esprit de Noël : un héritage. Un fil qui relie le passé, le présent et l’avenir. Un rappel que ce que nous bâtissons aujourd’hui est toujours, en partie, un hommage à celles et ceux qui nous ont précédés.

Et cette année, plus que jamais, je sens que mon empire porte un peu de ma mère en lui. Et que, tout comme elle m’a transmis sa magie et sa force, je suis en train de transmettre à mes propres enfants, à ma façon, le goût des traditions, la valeur de la persévérance et la certitude que l’on peut bâtir à la fois un foyer et un empire.

Maude